mercredi 2 juin 2010

Jurisprudences 20 : vidéo surveillance, écoute à l'intérieur des entreprises

Utilisables à des fins personnelles, téléphone, ordinateur, Internet sont l’objet de contrôles accrus sur le lieu de travail. Jusqu’où peut aller le contrôle « de bon usage » de l’employeur ?

Les entreprises se dotent de logiciels « espions » capables de contrôler les moindres faits et gestes de leurs salariés. Litiges, avertissements se multiplient actuellement. Ainsi, la SNCF a épinglé un de ses salariés qui s’était absenté trop longtemps de son service de réservation. Il n’avait pas tapé sur son clavier pendant un laps de temps jugé « anormalement long ». Un comptable « accro » des jeux vidéo a été licencié à la suite de scores records, son employeur ayant considéré « qu’il était impossible d’atteindre de tels scores sans de longues heures d’entraînement…au bureau ». Deux secrétaires qui avaient échangé sur la messagerie intranet des propos virulents à l’encontre de l’un de leurs responsables ont été mises à la porte. Les prud’hommes ont été saisis.

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) enregistre un nombre croissant de plaintes déposées par des salariés contrôlés. De leur côté, les tribunaux ont à juger si ces contrôles sont acceptables, c’est-à-dire s’ils ne portent pas atteinte à la vie privée des salariés. Témoin l’affaire de l’employé d’une société de Bourse fournissant des informations sur le monde entier qui avait pour activité de recevoir et de transmettre au téléphone des ordres d’achat en Bourse. Son employeur avait mis en place, après les en avoir informés individuellement, l’enregistrement des conversations téléphoniques des opérateurs. Or ces enregistrements ont permis de découvrir que ce salarié se livrait, pendant le temps de travail et avec le matériel de l’entreprise, à des jeux de hasard avec des tiers, tels que des paris sur l’élection présidentielle et sur les matchs de football. Licencié pour faute grave, le salarié est allé au tribunal, arguant que l’utilisation de ces écoutes constituait un détournement de leur finalité et portait atteinte à sa vie privée. Saisie du litige, la Cour de Cassation a validé ce licenciement pour faute grave caractérisée par l’utilisation du matériel de l’entreprise à des fins personnelles (Cass. Soc. 14 mars 2000). Cette décision confirme la jurisprudence qui admet que l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, à condition qu’ils en soient avertis au préalable.

Cette affaire illustre bien les effets du développement considérable des moyens de contrôle dans l’entreprise, dont la mise en place se justifie par des raisons de sécurité (badges électroniques, cartes magnétiques, vidéosurveillance…) ou de productivité (saisie informatique, autocommutateurs téléphoniques). Mais jusqu’à quel point ces moyens de contrôle sont-ils tolérables sans porter atteinte à la vie privée des salariés ?

DES MOYENS DE CONTROLE ENCADRES

Depuis 1992, la Loi interdit « d’apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (article L120-2 du Code du Travail). Auparavant, la Loi du 6 janvier 1978 dite « Loi informatique et libertés » avait été votée pour garantir les libertés individuelles face au développement des nouvelles technologies. Même si le champ d’application de cette Loi dépasse largement le domaine de l’entreprise, le contrôle de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), chargée de veiller au respect de cette législation, s’exerce dans tous les cas où la mise en place d’une technologie permet d’obtenir des informations nominatives, d’exploiter et de conserver des fichiers concernant des personnes physiques.

NOUVELLES TECHNOLOGIES : UNE SURVEILLANCE « TOUS AZIMUTS »

Si le système de contrôle des accès au moyen de badges électroniques ou cartes à puce paraît tout à fait légitime et parfois indispensable (par exemple dans une centrale nucléaire, dans une banque, etc…) il devient abusif lorsqu’il permet aussi de « pister » les salariés dans tous leurs déplacements (cantine, parking, contacts avec d’autres salariés).

Inquisiteur aussi, le contrôle de l’activité et de la productivité du salarié travaillant sur ordinateur : enregistrement des mouvements de la souris, lecture des messages électroniques…

Le contrôle des communications téléphoniques peut revêtir plusieurs formes :
- L’enregistrement des numéros appelés à partir d’un poste téléphonique, qui permet de maîtriser le coût des communications mais aussi d’identifier les interlocuteurs. Deux méthodes pour obtenir les même résultat : l’installation d’autocommutateurs téléphoniques et la facture détaillée.
- L’enregistrement des communications elles-mêmes (comme dans l’affaire soumise à la Cour de Cassation).

VIDEOSURVEILLANCE : DESACCORD DES TRIBUNAUX

Quant à l’installation d’un système de vidéosurveillance, soumise à la Loi du 21 janvier 1995, trois conditions doivent être réunies : des lieux ouverts au public, des endroits exposés aux risques d’agression et de vol, un but exclusif de garantir la sécurité des personnes et des biens.

Pour autant, ce moyen de surveillance est-il légal ? Les tribunaux sont divisés sur ce point : la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a accepté, à plusieurs reprises, de retenir de tels enregistrements comme preuves de vols dans la caisse par un employé de magasin.

La Chambre Sociale estime au contraire que, dès lors que l’enregistrement vidéo a été mis en place à l’insu du personnel, les éléments de preuve obtenus par l’employeur par ces moyens frauduleux constituent une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles. Ainsi, dans une affaire où des salariées d’un hypermarché avaient été licenciées au vu des enregistrements effectués dans la caisse du poste à essence, la Chambre Sociale a prononcé le retrait de ces enregistrements comme éléments de preuve.

ATTITUDE A TENIR

Pour éviter la vindicte publique et le pillage d’une entreprise, il vaut mieux stipuler sur les contrats de travail des employés, ainsi que dans le règlement intérieur, la possibilité de surveillance et de contrôle du personnel pendant les heures de travail. Ceci ne dédouane pas l’employeur d’éventuelles poursuites pour abus de contrôle de la vie privée, mais peut être décisif en cas de licenciement pour faute grave, car l’employé aura été prévenu des risques encourus.

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